Encore faudrait-il s'étaler ici sur la distinction entre science-fiction (qui décrit des faits qui seraient rationnels dans un futur où les avancées technologiques qui y sont décrites auraient eu lieu, ex :I, Robot), fantastique (qui introduit du surnaturel dans un cadre connu du lecteur, ex: les Contes d'Hoffman), merveilleux (où les éléments surnaturels, comme la présence de fées ou de dragons, se doit d'être admise, ex: les Contes de Perrault), fantasy (bourrée de phénomènes magiques et/ou mythiques, ex : Le seigneur des anneaux), réalisme magique (qui introduit un soupçon de magie dans un contexte tout à fait réalistique, ex : Cent ans de solitude)... Bref, je n'aime pas la science-fiction.

C'est-à-dire que j'aime la science-fiction telle que décrite par Theodore Sturgeon :

A science fiction story is a story built around human beings, with a human problem and a human solution, which would not have happened at all without its scientific content.

Une histoire de science-fiction est une histoire construite autour d'êtres humains avec un problème humain et une solution humaine, et qui n'aurait pu se produire sans son contexte scientifique.

La science-fiction ne me plait donc que quand elle est humaine, proche de nous. Les mondes inventés dans une Histoire différente de la notre, comme les incontournables Dune et Hyperion, m'ennuient. (Sauf les livres de Terry Pratchett, mais Terry Pratchett, voyez-vous, c'est de la fantasy. Et surtout, surtout, de la parodie). Les visions ultra-pessimistes et über-catastrophiques de la fin du monde et du retour au Moyen-Age (ou à l'époque préhistorique), façon Ravage (pouah que je déprécie ce Monsieur Barjavel) ou Malevil me laissent de marbre. A moi donc George Orwell (un Anglais du vrai nom d'Eric Blair), Aldous Huxley à petites doses (tiens, un Anglais aussi), Philip Dick et Isaac Asimov. Et pas Michael Crichton, parce que j'aime aussi les livres bien écrits.

Revenons-en à Sturgeon, majoritairement inconnu en France et dont je ne me lasse pas. Sachez pour la petite histoire et les repaires culturels que le monsieur a commencé à publier en même temps qu'Asimov et Van Vogt (l'auteur entre autres de la trilogie du à (lire : « non-A ») que j'ai personnellement trouvée assomante).

Les romans les plus célèbres de Theodore Sturgeon, More Than Human (Les plus-qu'humains) et The Dreaming Jewels (Cristal qui songe) sont deux oeuvres aux limites du réel dont je ne me lasse pas (j'ai d'ailleurs une tendance malsaine à en assomer mes amis, et je dois bien les avoir offert quatre ou cinq fois). Dans un univers qui pourrait très bien être les Etats-Unis des années cinquante, ils mettent en jeu des personnages... différents. Des êtres humains dont les déficiences sociales, intellectuelles ou encore physiques sont compensées par des capacités extraordinaires et inquiétantes.

More Than Human parle d'une effrayante évolution sociale, celles de marginaux aux capacités surprenantes (deux jumelles douées de téléportation, une petite fille télékinésisthe, un mongoloïde génial, un simple d'esprit qui développe un ressenti unique et un orphelin violent et télépathe) qui forment, ensemble, un Gestalt plus qu'humain, une entité d'un ordre supérieur, le successeur de l'Homo Sapiens... Des personnages secondaires dévorés de douleurs, de psychoses ou de mesquineries ordinaires représentent une humanité sur le déclin tandis que le Gestalt tente de définir les lois qui le régissent et la morale qui lui est propre.

Extraits choisis :

The idiot lived in a black and gray world, punctuated by the white lightning of hunger and the flickering of fear.

L'idiot vivait dans un monde noir et gris que déchiraient parfois l'éclair blanc de la faim et les coups de fouet de la peur.

(la traduction n'est pas de moi mais du traducteur de l'édition qui m'a été transmise par ma petite mère).

"Wilma," said the young man hoarsely, "that child is telepathic."
"Nonsense," said Wilma absently, concentrating on the fat's man pout. "She gets her vitamines every single day."

« Wilma », dit le jeune homme d'une voix enrouée, « cette enfant est télépathe. »
« Certainement pas », dit Wilma distraitement, concentrée sur la moue du gros homme. « Elle prend ses vitamines chaque jour que Dieu fait ».

Dans The Dreaming Jewels, un petit garçon adopté et maltraité, inséparable de son jouet (un diable aux yeux vaguement inquiétants et sa boîte) et qui se fait remarquer par son obstination à manger des fourmis, fugue et se réfugie auprès d'une troupe de cirque ambulant, composée majoritairement de freaks, euh, pardon, de phénomènes de foire. L'histoire se noue autour d'une collection de cailloux qui gémissent dans la nuit que le directeur du cirque, un scientifique génial et misanthrope, pense être une forme de vie extra-terrestre dont il essaie de maîtriser le pouvoir. Là encore, les personnages principaux sont des marginaux, différents physiquement, souvent dotés de capacités étranges et anormales, et les personnages secondaires des êtres humains à la limite de la caricature représentant une humanité décadente - ou plutôt arrivée à un terme évolutif.

Pas d'extraits choisis car je n'ai pas le livre sous la main. Mais je compte le relire bientôt, je complèterai peut-être.

En attendant, retenez que Theodore Sturgeon écrit avant tout sur l'être humain contre lequel il a l'air d'avoir la dent de ceux qui espèrent un dessein plus grandiose à l'humanité que celui vers lequel elle se dirige, et qu'il le fait très joliment, avec une pointe d'humour et une légère tendance à la caricature qui ne fait que mieux servir son propos.

La prochaine fois, Philip Dick, Isaac Asimov, l'un, l'autre, ou aucun des deux. (Je ferais une campagne électorale éblouissante, avec de telles promesses)