Robert Hanssen, marqué par une relation d'amour mêlé de haine avec le père modèle qui a abusé sexuellement et psychologiquement de lui dans son enfance, est un homme qui aurait donné du grain à moudre à n'importe quel psychiatre. Solitaire, mal aimé et peu apte socialement, il navigue d'un bout à l'autre du spectre moral, surnuméraire[1] de l'Opus Dei menant avec son épouse une vie qui colle au manuel du parfait petit catholique, exhibitioniste détaillant avec moults détails sur des forums en ligne ses ébats qu'il filme d'ailleurs à l'intention d'un de ses amis à l'insu de sa femme. Un homme dont l'intelligence se sent défiée quand elle n'est pas suffisamment reconnue à son goût.

Robert Hanssen, c'est cet agent du FBI qui a fait la une des journaux à la fin de l'hiver 2001, pour avoir vendu pendant vingt-deux ans des informations militaires, stratégiques, et hautement sensibles au KGB. Noms de taupes ou d'agents doubles, logiciels utilisés par le Bureau, plans à suivre pour les hautes personalités politiques en cas d'attaques nucléaires... une bonne cinquantaine d'agents compromis (dont quelques uns exécutés par le KGB en conséquence) et des informations dont la fuite aurait selon une théorie populaire donné à Al-qaida une connaissance suffisante de la surveillance américaine pour mettre en place l'attentat du 11 septembre 2001.

Breach, dont le titre semble ne pas avoir été traduit en français alors que bon, La brèche, on aurait pu, explore au travers des deux mois que dura l'étape finale de la mission conduisant à l'arrestation de Hanssen la personnalité complexe de l'agent et le développement de sa relation avec Eric O'Neill, novice placé à ses côtés pour recueillir les preuves de sa culpabilité.

Le film m'a laissé une impression mitigé. Chris Cooper (le colonel cinglé d'American Beauty, Alexander Conklin dans The Bourne Identity[2] et The Bourne Supremacy[3]) campe un Robert Hanssen très crédible, vieux salaud intelligent, méfiant à la limite de la paranoïa, mais qui accorde une confiance presque naïve à O'Neill qui saura se poser en ami - ce qui manque cruellement au traitre.

Ryan Philippe, qui campe pourtant un Sebastien Valmont plus que potable dans Cruel Intentions[4], est lui par contre absolument imbuvable en Eric O'Neill. Le crétinisme avancé qu'il affiche lui gagne peut-être la confiance de Hanssen (le pauvre garçon paraît bien trop stupide pour fomenter quoi que ce soit contre lui), mais, en le poursuivant dans sa vie personnelle, le rend incapable aux yeux du spectateur d'inventer le moindre des mensonges qui lui permettent de mener à bien son travail.

La présence de Laura Linney (la Sarah timide et frustrée, amoureuse de son collègue Karl depuis deux ans, sept mois et trois jours dans Love Actually, la mère dans The Squid and the Whale[5]) et les rares interventions de Dennis Haysbert (l'inoubliable President Palmer de 24[6], aussi acteur d'une insuportable publicité d'assurance automobile - ou autre), relèvent sans aucun doute la saveur du film.

Notons enfin que Caroline Dhavernas, une québécoise qui m'était absolument inconnue, est très jolie dans ce film. Son jeu, bien que restreint, sonne juste, si ce n'est que l'amour qu'elle porte à son benêt de mari semble bien injustifié au vu de l'insupportabilité chronique de celui-ci (et je crache sur Ryan Philippe si je veux)

Le scénario et les prises de vues m'ont semblé tout à fait convenables, sans être particulièrement excitants ; le récit est bien ficelé (à condition d'admettre que Hanssen avale les couleuvres qu'O'Neill lui soumet avec candeur), et les moments qu'O'Neill et sa femme passent en compagnie de la famille de l'espion sont particulièrement savoureux (dans un genre frissonant de l'échine).

J'ai lu quelque part que Breach n'était pas un thriller parce que l'on connaissait la fin dès le début (sous la forme de la déclaration de John Ashcroft à l'arrestation de Hanssen). C'est absolument ridicule : non seulement l'histoire de Hanssen est une histoire vraie et connue, mais surtout Breach n'est pas un thriller car il n'a pas la prétention d'en être un.

Sur ce, ma foi, si vous avez deux heures à tuer au moment où il sortira en France, ça vaut le prix du billet. Surtout avec réduction étudiante.

Notes

[1] ça veut dire membre séculier (laïque, autrement dit)

[2] La mémoire dans la peau

[3] La mort dans la peau

[4] Sexe Intentions en français dans le texte

[5] Les Berkman se séparent, titre idiotissime s'il en est pour un film adorable

[6] 24 heures chrono, pour une raison inconnue à ce jour, d'autant que tout le monde appelle ça 24 en français