Dès le premier regard, tout est mal parti entre nous. Une femme, la quarantaine, en pantalon et brassière, cheveu au vent, tout sourire, regarde légèrement à côté de l'objectif. Tant d'honnêteté ne peut que me frapper. La photo est en noir et blanc (bon point), entourée de gros titres et bandeaux en rouge, bleu, orange et jaune (mauvais, mauvais point).

Tout dans cette couverture crie à l'arnaque. Le titre le plus en évidence ? « Your Most Stubborn BELLY FAT GONE! » (Le plus entêté des GRAS DU BIDE ENVOLE !) .De même que nos amis les vendeurs de gélules miracles - formule brésilienne unique - ou de petites pilules bleues, Women's Health n'hésite pas à jouer de la majuscule. Tout comme eux aussi, il ne s'embarasse pas de poétique ni de romantisme.

Mes dents grincent. Mon gras du bide, premièrement, il te proute, ma mignonne. (Attention, cette version a été édulcorée et pourrait presque passer à la télévision québécoise). Ensuite, je ne suis pas suffisamment obsédée par lui pour lui prêter des intentions malignes ou suffisamment de conscience pour être entêté (non : les choses innocentes au premier abord et douées de suffisamment de conscience pour être têtues et malignes, ce sont les murs et les encadrures de porte ; y a qu'à voir comment ça se déplace systématiquement sur mon passage ces trucs-là). Enfin, même ma crédulité que l'on croirait sans borne a des limites : le gras de mon bide ne va pas disparaître comme ça pfff a plus.

C'est tout de même ce que le sous-titre essaie de me faire croire : « The Secret? Eat This Food To Lose 81 Percent More Belly Fat. Page 8 » (Le secret ? Mangez cet aliment pour perdre 81 pourcent de plus de gras du bide). Je me sens un peu rassurée : vu que je ne perds pas de gras du bide, 81 pourcent de plus ne vont pas faire une grande différence. J'admire au passage la précision scientifique quand un « quatre cinquièmes » aurait pu faire le même effet.

Je me précipite assidûment sur la page 8. Le titre de l'article m'assaille (il prend le tiers de la page) : « want to look better naked? » (vous voulez paraître plus belle nue ?). Non, je look déjà très bien nue. Suffisamment pour me plaire dans la glace et affoler mon blondinet, en tout cas. Par contre je veux bien au moins une majuscule en début de titre.

L'article continue d'attiser le lecteur : deux paragraphes dissertent sur les effets fabuleux de cet aliment mystère. Pendant ce temps, mon imagination galope. Ananas ? Papaye ? Thé vert (ah non ça ne se mange pas... quoi que) ? Agar-agar directement à la cuiller ? Salade verte ?

Enfin, la vérité est révélée : « a University of Tenessee study found that people who ate three servings of yogurt a day lost astounding amounts of body fat when compared to those who didn't eat any. » (une étude de l'Université du Tenessee révèle que les gens qui mangent trois portions de yaourt par jour perdent une quantité impressionante de graisse corporelle en comparaison avec ceux qui n'en mangent pas). Toujours en panne de majuscules de début de phrase, d'ailleurs.

Evidemment quand on sait que c'est un peu mon aliment de base, le yaourt (ce qui me rend relativement malheureuse dans ce pays où le yaourt est petit un, très rare sous forme non parfumée, petit deux, plus proche du liquide que du solide), on se marre.

Mais Women's Health ne s'arrête pas en si bon chemin. Une perle parmi d'autres ? « The energy vitamin any woman needs. It's iron (...) » (La vitamine énergétique dont chaque femme a besoin. C'est le fer (...)). Déjà, c'est pas parce que les phrases nominales existent qu'il ne faut pas en user avec parcimonie. Ensuite, confier ma santé à un magazine qui me dit que le fer est une vitamine, je sais pas quoi. J'hésite.

Et, évidemment, l'article sexe. C'est bien connu, aucun magasine ne se vend sans article sexe. Aussi Women's Health arbore fièrement son titre alléchant (slurp) : « 11 fun and sexy things to do with your man » (11 trucs sympa et sexy à faire avec votre homme). Et le chapô de l'article me promet d'élever ma vie sexuelle à un niveau inattendu.

Mais, attention, ici, c'est juste le faux magazine publicitaire que j'ai sous la main. Comme m'avertit un paragraphe au début de l'article, cet extrait est censuré et en version « pour toute la famille ». C'est ainsi qu'avec un humour qui ne se dément pas, deux des onze points sont remplacés par, respectivement « OK, the censors just won't let us explain this one here » (OK, la censure ne va pas nous laisser expliquer celui-là ici) et « Darn, those censors are giving us that serious "don't-even-think-about-it" look for this one, too » (Diantre, les censeurs nous font leur regard "n'y pensez même pas" pour celui-ci aussi). Haha, haha, assez ri.

Quand aux conseils non censurés, ils sont encore plus consternants. L'emmener faire du shopping et le laisser choisir mes vêtements, merci mais nous détestons tous les deux aller faire des courses dans ces centres commerciaux insupportables, on s'abstiendra. Acheter une console vidéo pour le défier à je ne sais quel jeu, hmm, le problème, c'est qu'aucun de nous deux ne joue à des jeux vidéos. Laver la voiture ensemble, c'est-à-dire que, laver une voiture, c'est chiant, et puis c'est sa voiture, et il l'amène au lavage automatique, ça manque un peu d'intimité non ?

Conclusion : je me nourris à grands renforts de l'aliment qui fait perdre son gras du bide que je ne cherche pas à perdre et dont je refuse d'admettre l'obstination, j'ai le malheur de considérer le fer comme un minéral et non une vitamine et j'ai la vie sexuelle d'une chaussette sans même être foutue de faire des efforts pour l'améliorer un peu.

Je ne vois vraiment pas pourquoi je n'ai toujours pas envie de m'abonner à Women's Health.