Et puis J., c'est pas n'importe qui. Pour tout dire, il a cinq papiers en cours de finalisation, chacun avec un membre différent du labo. On a passé le dernier mois à frénétiquement tenter d'avancer les ébauches vers un stade final et à prendre en main les différents projets et morceaux de codes qu'il abandonne derrière lui. Cette soutenance, c'était pour nous le point d'orgue d'un effort collectif.

Et hier, tout s'est passé très vite.

J. s'est pointé vers dix heures et quelques au labo, fraîchement chemisé et cravaté, en pantalon de costume et chaussures de ville, et environ un demi pot de gel dans les cheveux, ce qui contrastait sérieusement avec son apparence habituelle. Je discutais tranquillement avec les copains de l'administration de notre résidence étudiante [1] quand il nous a assailli avec environ trois nouvelles idées qu'il avait eu pendant la nuit, qu'il a vaguement détaillées sur un coin de tableau blanc (d'ailleurs, quand un gars demande, face au tableau la brosse à la main, s'il peut supprimer[2], c'est qu'il passe trop de temps devant un ordinateur), avant de me demander quelques résultats de dernière minute. Pendant que je m'escrimais à les organiser, les gars essayaient de faire fonctionner le rétro-projecteur.

Bon, ben un rétro-projecteur qui décide au dernier moment de ne plus fonctionner, ça crainde sévère.

Du coup à onze heures on était à trois dans le plus petit bureau du couloir, J. révisant sa présentation, K. tapant sur essayant de réparer ledit rétro-projecteur, moi par terre à organiser les fichus résultats, sans parler du quatrième larron qui faisait la navette avec le secrétariat dans l'espoir d'obtenir un autre projecteur, ce qui finit par arriver.

Entre temps J. avait eu le temps d'appeler Advisor pour lui dire que chef, au secours, le rétro-projecteur ne marche pas, je peux aller dans un amphi avec matériel intégré ? Advisor a répondu que non et en a profité pour nous dire que, dans la vie, les soutenances de thèse et les mariages, ce n'est rien, l'important c'est les enfants et la science.

J'ai tendance à être d'accord, puis pour une fois y avait que des gens pas mariés dans la pièce, donc c'est à peu près passé, sauf que les Américains sont beaucoup plus susceptibles que les Français sur la question du mariage.

Juste le temps de faire un saut au barbecue de fin d'année du département, dans la fraîcheur de ce sale temps pourri, avant de tout remettre sur le tapis dans la bonne salle, cette fois, après avoir couru après un pointeur laser qui avait disparu.

Ah, ça a bien démarré. Advisor a fait un discours d'introduction dithyrambique, que J. c'est le meilleur élève de la terre, qu'il se débrouille tout seul comme un chef et qu'il a plein de qualités scientifiques. C'est peu à près que le cauchemar a commencé. Oh, cauchemar, pas pour J. ; il a admirablement jonglé avec son auditoire, pirouetté des réponses sensées à d'improbables questions, et presque pas ennuyé Advisor. Mais alors, nous, les pauvres thésards au fond de la salle, qu'est-ce qu'on transpirait. D'abord, parce que les questions, mais c'est pas possible des questions pareilles ! Ensuite, parce qu'il n'arrêtait pas de nous désigner comme successeurs, genre oui on fait de notre mieux pour répondre à cette question, c'est K. qui s'en occupe, oui, d'ailleurs, Krazy Kitty sait de quoi je parle c'est pour ça qu'elle rigole (damned! m'écriai-je in petto), et tout à lavement[3].

Heureusement, le jury a adoré, a tel point d'ailleurs que J. m'a vendue comme la personne à qui s'adresser pour des projets dans la même veine, au grand soulagement du reste des gars, cette bande de traîtres. Du coup on a débouché le champagne, après, ça allait mieux.

N'empêche que quand même, je veux pas soutiendre. Jamais.

Notes

[1] rendez-moi la Maisel !

[2] précisément, Can I delete this?

[3] oui, c'est un jeu de mot foireux, mais il est pas de moi