Le problème de la recherche, et ce depuis des années, c'est que la recherche n'est pas nécessairement rentable. En termes monétaires, tout du moins. Même la recherche appliquée. Prenons l'exemple de l'industrie pharmaceutique : le développement d'un nouveau médicament, depuis la première piste jusqu'à l'arrivée de jolies petites pilules (ou seringues) sur le marché, nécessite en moyenne quinze ans de recherche et huit cent millions de dollars inclus (on remarquera au passage que seule une faible portion de ces millions de dollars va grossir le compte en banque des chercheurs). Et ça, c'est pour le cas où ça marche.

Alors évidemment, la recherche fondamentale et les choses qui ne se vendent pas, comme les sciences sociales, ou l'étude de la littérature, de l'histoire, de la peinture ou de l'anthropologie, les décideurs s'en tamponnent le coquillard avec force.

Mais levons un peu le nez du guidon, s'il-vous-plaît. Pourquoi m'a-t-on enseigné à l'école et à la maison toutes ces jolies valeurs ? Pourquoi ne m'a-t-on jamais dit que réussir dans la vie, c'était d'avoir de l'argent et de le montrer ? Pourquoi ne m'a-t-on jamais dit que maintenant, être quelqu'un de bien, c'est avoir un porte-feuille débordant de billets et trois voitures de luxe ?

On ne me dit jamais rien, à moi. Nom d'un piano à queue. Même quand je suis polie.

On me laisse découvrir toute seule que l'argent fait le bonheur, et que la seule chose qui compte aux yeux de notre société complaisamment capitaliste (ah oui c'est bien la peine de taper sur les Américains pour être aussi dégoûtants, hein), c'est de faire du fric. Pourquoi, on ne sait pas trop. Ce qui compte c'est d'en faire. Beaucoup. Plus, de préférence, que ce qu'on pourra jamais utiliser. Le reste... avoir un code moral[1] et le suivre, partager, s'unir pour être forts, être généreux, donner de soi-même, égaliser et fraterniser, c'est fini, ça sert à rien, que dalle, nib : ça ne rapporte pas.

Et rapporter, c'est ça qui compte hein ? Là, maintenant, tussuite, ramène le beau nonos, ça c'est un bon toutou.

Merde.

Les sous les sous les sous encore les sous toujours les sous mais y en a pas marre, à la fin, de toujours parler de la même chose ?

À quoi ça sert, de savoir ? À quoi ça sert, de comprendre le rôle des femmes lors de la Révolution Française ? À quoi ça sert, d'étudier l'apparition de la vie sur Terre, les trous noirs, la conjecture de Syracuse, le féminisme de Jane Austen, le futurisme de Victor Hugo, l'évolution de l'homme, la sexualité au cours des âges, les paysans-chevaliers de l'an mil au lac de Paladru ?

Ben on sait pas. À se coucher un peu moins con ce soir ? À comprendre le monde qui nous entoure ? À faire frémir nos axones ? À de nouvelles découvertes utiles ? Définissez l'utile et le futile, dans trois heures je ramasse les copies. En tout cas ça ne sert pas à gagner de l'argent, là, maintenant, tout de suite. Et l'intérêt de la chose, ben les petits cerveaux gavés à tiheffeouane, ils ont du mal à voir. C'est rien que des glandus, encore, ces gens. Hein. Bande de sales chercheurs. Ou de sales artistes. On devrait changer les ministères, y aurait un ministère des trucs qui servent à rien, ça engloberait la recherche et la culture, tiens. On sait jamais quoi en foutre, de ces deux-là.

C'est bien parce que tout ça me fout dans une rogne noire quant à l'avenir de mon pays que j'ai signé la dernière pétition Sauvons La Recherche. Et c'est même pas pour sauver mon crouton de pain ; une fois docteur, je pourrai me faire employer sans souci, même dans le milieu académique (car oui ma recherche est appliquée, et en plus de ça elle est à la mode), et au pire, dans une jolie entreprise (une pharmaceutique qui s'ingéniera à développer des traitements pour ceux qui ont les moyens de les payer, par exemple). Ça me fera suffisamment d'argent... Je ne suis pas totalement opposée au financement de la recherche par des sources extérieures dont, notamment, l'industrie. Mais la philanthropie n'a jamais été le point fort des industriels, surtout de ceux qui ne gagnent pas suffisamment de leur point de vue pour s'amuser à le jeter par les fenêtres.

Et ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : l'argent, on ne peut s'en foutre que quand on en a. Mais ça me fait suer de savoir que tous les éloges que je reçois ne seront jamais transformés en un toît sur ma tête, des soins pour mes enfants ou un peu de repos au soleil, tandis que des gens dont beaucoup s'accordent à dire que ce sont de gros salopards auront tout ça et plus encore.

Notes

[1] Oui, celui-là même dont beaucoup de bons croyants pensent que nous autres athées sont dépourvus, ce qui me donnent envie de leur taper sur la gueule, ce qui prouve probablement que ma moralité est dans mes chaussettes, ou alors que j'ai été mal élevée