Et je me trouve face à un dilemme : d'une part, il ne mérite pas mon attention ; de l'autre, il est une source inépuisable d'anecdotes tout à fait exploitables dans une conversation mondaine (et je prends AmRhaps pour le dernier salon où l'on cause si je veux, c'est pas vous qui allez critiquer la qualité du lectorat, n'est-ce pas ?).

En fait, on pourrait même en tirer le petit manuel du comment planter son intégration à un laboratoire de recherche en dix leçons. Expansible à souhait en Comment se faire détester par une équipe de travail toute entière en moins d'une semaine et Bienvenue dans la vraie vie adulte.

Je vois déjà le plan.

1. Faites d'emblée une mauvaise impression
Il ne sert à rien de prétendre que l'habit ne fait pas le moine ; refuser de se plier à une simple convention comme celle de couvrir son torse, même dans un milieu où il n'y a pas vraiment de code vestimentaire, est du plus mauvais goût. Point. Arrivé à un certain point dans la vie, on peut refuser de se plier aux convenances et au politiquement correct sans systématiquement mettre les gens mal à l'aise en enlevant son T-shirt. Je trouve. Donner trop ostensiblement dans un style, en l'occurrence celui de skater cool, traduit hélas le plus souvent un manque de personnalité et vous vaudra facilement quelques antagonismes.

Pour accentuer l'effet, n'oubliez pas de ne boutonner votre chemise qu'à mi-torse en réunion et de vous y affaler sur votre chaise comme une loque en fin de soirée. Très, très efficace.

2. Ouvrez la bouche, et accentuez le sentiment
Parler de vos soirées passées à fumer des pétards, de votre amour immodéré et inconditionnel pour la plage et les parcs d'attraction, ou de comment vous jouez de la guitare rock et que c'est cool vous donnera un air d'adolescent attardé et immature peut-être très efficace pour lever les minettes (ben je sais pas comment ça se lève, une minette, moi, j'ai jamais pratiqué) mais pas nécessairement très sympathique parmi un groupe de doctorants. Par exemple.

Pour accentuer l'effet, précisez-bien que les gens qui partent en vacance ailleurs qu'à la plage où loin de la chaleur et du soleil ne savent pas ce qu'ils perdent. Ou parlez de votre père, universitaire de - petit - renom, à toutes les sauces.

3. Transformez votre insécurité en désir de plaire
Faites de la lèche. Tout le monde déteste de ça. De votre directeur de thèse, qui en a vu d'autres, aux autres membres du labo, qui ne sont même pas sûrs de savoir ce que vous espérez d'eux.

Bonus : essayez au passage de draguer vos collègues féminines. La tâche n'est pas trop ardue, il n'y en n'a qu'une à part les secrétaires. Soyez bien sûr de l'exaspérer. Plus son envie de vous coller hors de son bureau est manifeste, mieux vous vous y prenez.

4. Transformez votre insécurité en désir d'impressionner
Préparez des questions à l'avance. Potassez bien votre sujet. Parcourez des livres, et songez très fort à quelques idées inutiles et questions pointues que vous pourrez disséminer ici et là, étalant votre savoir devant vos collègues (qui ne vous écouteront que d'une oreille) et votre directeur (qui balaiera le tout d'une phrase ou deux sans y penser).

N'hésitez pas à mentionner que vous avez travaillé avec quelqu'un de connu (sans préciser qui).

5. Transformez votre insécurité en agressivité latente
Lamentez-vous de ne plus recevoir l'aide financière de vos parents et de devoir vous contenter de votre salaire, devant une assemblée d'étudiants pauvres, indépendants, et fiers de l'être.

Faites des blagues machistes de temps en temps. Si personne ne rit, victoire, vous les avez tous un peu plus monté contre vous. Petit plus : regardez les femmes dans les seins plutôt que dans les yeux, elles détestent qu'on leur parle de réseaux de neurones en les déshabillant du regard. Si elles enfilent un sweat-shirt trop grand quand vous arrivez, vous êtes sur la bonne voie.

Attaquez les gens sur leur nationalité. Des phrases du genre « Je ne saurai jamais comprendre la personnalité des Français » ou « Oui mais le Liban, c'était quand même sous mandat de la France », surtout sans rapport avec la conversation, seront du meilleur effet.

Imposez-vous. Installez-vous dans un autre bureau que le votre et restez assis sans parler pendant que les occupants travaillent. Après quelques minutes de ce douloureux traitement, dites une connerie. Quand lesdits occupants ferment la porte derrière vous au lieu de la maintenir entrouverte, vous avez gagné.

6. Continuez de voir le monde à travers les yeux d'un adolescent rebelle et boutonneux
Montrez bien que vous êtes loin d'avoir acquis la maturité à laquelle on pourrait s'attendre de votre part. Démontrez que vous n'avez aucune idée du coût de la vie ni de comment gérer vos finances. Plaignez-vous quand un ami ne vous rappelle pas dans l'heure. Accompagnez le fumeur du groupe (en lui taxant une clope) même si vous ne fumez pas, « pour ne pas faire prude ». Portez des T-shirts à message du genre Fuck the police[1].

7. Ne démontrez aucune des qualités requises pour la recherche ; ou, mieux, faites-en preuve, mais de travers
Ne posez que des questions visant à étaler votre savoir (voir chapitre 4). Surtout, ne posez jamais une question dont vous avez besoin de la réponse. Débattez-vous seul dans des stupidités techniques plutôt que de laisser entrevoir que vous n'êtes pas omniscient.

8. Confondez relation professionnelle avec copinage bonhomme
Expliquez à deux de vos collègues que, oui, vous avez des amis dans la région, d'ailleurs, eux deux sont vos amis. Et votre directeur aussi. De temps à autres, exclamez vous « J'espère qu'Advisor m'aime bien ».

9. Se prendre pour le centre du monde
Racontez votre vie. Tout le temps, et à n'importe qui. Parlez de l'exigence de vos parents, du manque d'affection du père auquel vous cherchez manifestement à plaire malgré tout, de vos amis, de vous, de vous, de vous. Ramenez tout sujet de conversation à vous-même. Surtout s'il n'y a aucun rapport.

10. Négligez sérieusement vos relations publiques et votre image de marque
Un seul conseil dans cette catégorie : si la seule page que l'on trouve sur Internet en tapant votre nom dans un moteur de recherche vous décrit comme un amateur de sex, drugs, and rock'n roll, qui est attiré par les filles qui montrent un maximum de chair, qui se prend pour un mec hot et partage son temps entre boire et travailler, vous ne pouvez pas mieux faire !

Même plus besoin de m'échiner sur ma thèse : avec un tel ouvrage, me voilà riche.

Ou pas.

Mais c'est pas comme si la thèse allait me rendre riche. De toute façon.

Notes

[1] Non authentique, la phrase m'est sortie de l'esprit sitôt après s'être imprimée sur ma rétine